Le cercle des amis

(roman-feuilleton rédigé par Pierre Olivier Desautourre)

Episode une (suite) Trèves. Salon du manoir Ste Marguerite. Les quatre amis se lèvent de leurs fauteuils pour se rendre dans la salle à manger. Les autres pensionnaires les attendent silencieusement assis à de longues tables décorées avec des bouquets de tulipes jaunes. Sophie annonce que le dîner sera servi quinze minutes plus tard que d’habitude à cause d’une plaque de cuisson défectueuse.

-C’est la première fois depuis quinze ans que j’ai entendu cette excuse. Le nouveau cuisinier prend beaucoup de peine pour nous expliquer le dysfonctionnement de notre établissement, expliqua Marcel. La vraie cause du retard est tout autre. Il y avait une baisse de prix des escalopes de veau chez le boucher de l’autre côté de la ville et notre directeur voulait en profiter. Ce boucher est toujours en retard avec la livraison, car il profite de l’occasion pour voir sa petite amie qui vit dans un appartement à côté de notre manoir. Il arrive en début d’après-midi chez elle et après il s’oublie. J’ai averti le directeur déjà maintes fois, mais il ne me croit pas.

-Arrête avec cette histoire. Personne ne te la croira jamais. Le boucher n’a jamais trompé son épouse. De toute façon, ça doit rester un secret, car il sait beaucoup de choses, dit Robert d’une voix basse.

-C’était lui alors qui avait établi les factures après le grand bal dans la maison du peuple? demanda Marcel.

-Oui, c’était lui. Les montants furent versés sur son compte. Il connait la provenance de cet argent, chuchota Claude. Ce fut une grande soirée avec énormément de distractions. On s’amusa toute la nuit. Après, les élections eurent lieu.

-Oui, oui je sais. Les journaux ne parlaient que de ce qui se passa lors de ce grand bal, ajouta Charles avec un sourire malicieux.

-Tout à fait, ils ne parlaient que de la provenance de l’argent pour payer les frais de cette fête. Il fallait se justifier, aussi pour l’énorme publicité. On avait peur d’un immense scandale. Le sujet était à la une des journaux pendant des semaines. Partout, il y avait des commentaires, à la radio, à la télé et dans les médias électroniques. Les journalistes commencèrent à élaborer des théories compromettantes. Une catastrophe pour notre ami qui était candidat.

En s’asseyant, Charles renversa le vase avec les tulipes. Sophie accourut avec une éponge. Vous avez mouillé la chemise?, demanda-t-elle. Heureusement, le vase ne s’est pas cassé. Il est précieux et fabriqué dans un atelier d’art en Chine.

-Quelle blague, c’est le directeur qui le dit. J’ai vu ce vase dans le supermarché pour cinq euros, remarqua Claude.

-Non, ce n’est pas vrai, cette pièce unique figure dans un catalogue d’art, noir sur blanc, riposta Sophie en levant l’index de sa main droite. En réponse à ce geste, les quatre hommes baissèrent la tête comme des petits garçons intimidés et le silence habituel s’installa.

-Puis, il y avait cette explosion dans le dépôt municipal, reprit Marcel après quelque temps.

-Oui, oui l’explosion, c’était une autre chose, soupira Robert. Après on ne parlait plus de ce bal, heureusement.

-Non, on n’en parla plus, heureusement, répéta Charles d’un air soulagé.

Le groupe s’avança vers la table pour s’asseoir. Les vieillards levèrent la tête et se regardèrent mutuellement comme s’ils voulaient ainsi affirmer les paroles de Charles: "heureusement on n’en parla plus, heureusement".

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